A travers cette suite de 3 articles, nous voulons faire trois choses:
- démontrer que le système capitaliste est à l’origine des problèmes écologiques actuels
- montrer qu’il existe des solutions
- articuler ces deux postulats dans une logique révolutionnaire et radicale
Nous estimons nécessaire que la gauche radicale doit s’emparer des questions environnementales. On ne peut imaginer une lutte contre le capitalisme sans parler de la lutte écologique.
Introduction
L’écologie est politique. L’environnement est impacté par l’activité humaine, laquelle fonctionne actuellement selon un système dit “capitaliste”, soit un système économique et social où les moyens de production et d’échange n’appartiennent pas aux travailleurs et travailleuses. Ce mode de production est générateur d’inégalités sociales ainsi que des dégât causés à l’environnement, inégalités sociales et écologie étant étroitement liés.
Trop souvent, on parle d’écologie à travers une logique de culpabilisation des consommateurs et des consommatrices. Il faut moins utiliser sa voiture, fermer le robinet, faire pipi dans la douche, éteindre la lumière, utiliser moins d’emballages plastiques, arrêter de boire avec des pailles en plastiques, etc. Bien que ces injonctions ne soient pas dénuées de sens, et nécessaires, nous estimons qu’elles relèvent d’une logique de déresponsabilisation des grandes entreprises, des dirigeant.e.s en place, et par ce biais du refus d’une remise en question du système capitaliste dans son ensemble.
L’exemple de la voiture montre la complexité du problème: il est nécessaire de moins utiliser sa voiture à titre individuel, mais en parallèle il faut repenser les villes (plus de pistes cyclables, des transports en communs moins chers et plus efficaces), ainsi que la problématiques des pendulaires et de la centralisation des métiers et des lieux décisionnels. Ce n’est pas aux travailleurs et aux travailleuses de culpabiliser concernant leur mode de vie, alors que les dirigeant.e.s en place ne créent pas un environnement favorable aux injonctions environnementales qu’ils et elles reçoivent.
On peut dire la même chose des grande entreprise de l’agro-alimentaire. Faire des campagnes publicitaires pour que les consommateurs et les consommatrices achètent des produits avec moins d’emballage: pourquoi ne pas simplement demander aux grandes surfaces de ne plus suremballer? Autant de questions qui soulèvent l’hypocrisie de la question environnementale.
Autant d’injonctions culpabilisatrices, qui cachent la réalité du système de production en place. On préfère pointer du doigt les comportements individuels, nous faire sentir responsable d’une situation sur laquelle nous avons souvent peu d’emprise. Et si on demandait plutôt si en mettant fin au capitalisme on pouvait mettre fin à la crise environnementale? Pourquoi dénoncer des comportements qui relèvent de la surface du problème lorsqu’on peut l’attaquer à la racine? Parce que ce serait aller à l’encontre des intérêts des puissant.e.s.
Nous pouvons désormais voir de plus en plus sur les médias de masse, des initiatives menées par des individus, qui nous montrent que des alternatives sont possibles. Ces manières alternatives de fonctionner sont essentielles, et le savoir accumulé est précieux. Nous pensons toutefois qu’il doit aller de pair avec une critique du capitalisme, pour avoir un impact significatif sur la crise écologique actuelle. L’argument malthusien souvent opposé à ce genre de plaidoyer est de dire que ces initiatives ne sont possibles qu’à petite échelle. Que nous ne somme pas prêt.e.s à réduire notre confort et qu’il est impossible de s’organiser ainsi à l’échelle planétaire pour répondre aux besoins croissants d’une population grandissante. C’est faux. La lutte écologique doit être un projet émancipateur de gauche et non reposer sur un développement durable de droite qui continue à profiter aux plus riches faisant reposer le poids des problèmes environnementaux sur les consommateurs et les consommatrices. L’un des meilleurs théoricien en matière d’écologie radicale, Murray Bookchin, a imaginé le municipalisme libertaire. Il est un précurseur en matière d’analyse et de réflexion en ce qui concerne l’écologie. Il a réussit à faire le lien entre capitalisme, environnement et démocratie radicale. Mais surtout, Bookchin nous offre des pistes vers des solution concrètes pour créer une société remplaçant la société capitaliste actuelle.
Les vagues de réfugiés que nos dirigeant.e.s ne sont pas capable de traiter humainement, ces réfugié.e.s soit disant déjà trop nombreux.ses, ne sont rien par rapport au nombre de réfugié.e.s climatiques qui vont être forcé.e.s de se déplacer. Nous pensons donc qu’il est primordial de ramener la question environnementale au sein de la lutte contre le capitalisme dans le discours de la gauche radicale.
I - Le capitalisme, ennemi public numéro 1
Le rapport d’Oxfam [1] de janvier 2018 présente de manière très claire les problèmes liés au capitalisme et plus particulièrement le lien entre inégalités économiques et écologie.
Des richesses générées l’année dernière, 82 % ont profité aux 1 % les plus riches de la population mondiale, alors que les 3,7 milliards de personnes qui forment la moitié la plus pauvre de la planète n’y a pas eu accès. De 2016 à 2017, Oxfam[1] a recensé un.e nouveau.elle milliardaire tous les deux jours. Les inégalités sont présentent tant entre les pays: “Quatre jours suffisent au PDG de l’une des cinq premières marques mondiales de mode pour gagner ce qu’une ouvrière de la confection bangladaise gagnera au cours de sa vie.”[1] qu’au sein d’un même pays: “Aux États-Unis, en à peine plus d’une journée de travail, un PDG gagne autant qu’un simple ouvrier en une année.”[1]
La redistribution des richesses pourrait résoudre la question rapidement: “Porter les salaires des 2,5 millions d’ouvrières et ouvriers du textile vietnamiens à un niveau décent coûterait 2,2 milliards de dollars par an. Cela équivaut à un tiers des sommes versées aux actionnaires par les cinq plus grands acteurs du secteur de la mode en 2016.” [1] Surtout lorsque l’on sait que les actionnaires et les dirigeant-e-s d’entreprise, accroissent leurs revenus principalement en réduisant les salaires et attaquant les conditions de travail et les droits des travailleurs. On en arrive à des chiffres complètement aberrants: 61 personnes possédaient autant que la moitié de la planète en 2016. [2] Nous avons du mal à croire que dans de telles conditions, le système capitaliste soit le système économique “le moins pire”. D’autant plus que ce système est soutenu par les personnes détenant les postes clés du pouvoir, car c’est un système qui sert leurs intérêts. Ces mêmes personnes qui nous disent que le capitalisme est le mieux que l’on puisse trouver actuellement.
“En effet, nombre de ces responsables promeuvent activement des politiques qui aggravent les inégalités. Donald Trump a été élu sur la promesse d'aider les citoyen-ne-s ordinaires, mais il a nommé des milliardaires aux différents ministères et fait tout pour réduire considérablement la fiscalité des 1 % les plus riches. Au Nigeria, le président Buhari a déclaré que les inégalités exacerbaient la colère et la frustration, mais les revenus de l'exploitation pétrolière sont détournés par milliards, les inégalités continuent de croître et 10 millions d'enfants sont toujours déscolarisés au Nigeria.”[1]
Le rapport d’Oxfam est extrêmement éclairant, critique et met en lumière des rapports de dominations. Nous pensons également à Radix, que ces inégalités croissantes sont liées aux problèmes environnementaux. Cette opinion est partagée par Kate Raworth, l’auteure du rapport d’Oxfam: “Étant donné les limites environnementales de notre planète, cette approche n'est pas durable : avec un tel niveau d'inégalités, l'économie mondiale devrait être 175 fois plus conséquente pour que chacun touche plus de 5 dollars par jour, ce qui serait catastrophique sur le plan environnemental. Cette inefficacité ubuesque est en outre intenable si nous voulons mettre un terme à la pauvreté sans dépasser les limites environnementales de notre planète.”
Ce commentaire est particulièrement intéressant. On entend souvent que les populations des pays “en voie de développement” mettent en danger l’environnement, car enfin, s’ils et elles veulent tous et toutes atteindre notre niveau de richesse, ce n’est pas soutenable pour la planète. Mais ce n’est pas tant la croissance démographique des pays du sud qui pèse sur l’écologie que la course à la croissance. “A ce propos encore, le libéralisme use d’euphémismes tels que l’”abondance” pour ne pas parler tout crûment de “gaspillage”.” [3]
Ainsi, il est plus pertinent d’adoptent une vision organique de notre fonctionnement lorsque l’on veut s’attaquer à la pauvreté dans une perspective écologique. “Toute vision du développement durable doit reconnaître que la lutte contre la pauvreté et les injustices sociales se trouve inextricablement liée à la stabilité écologique et au renouvellement des ressources naturelles... Les deux grands types de limites au bien-être de l'humanité – "sociales" (la faim, les inégalités et la maladie, notamment) et "planétaires ou environnementales" (le changement climatique et la perte de biodiversité, par exemple) – sont inextricablement liées...Les politiques traditionnelles de croissance n'ont guère été fructueuses sur ces deux plans : les personnes en situation de pauvreté ne bénéficient que trop peu de la croissance du PIB tandis que l'augmentation du PIB se fait trop largement au prix de la dégradation des ressources naturelles.” [2]
On commence à mettre ici le doigt sur le noeud du problème. Notre système n’est pas viable, il crée des inégalités économiques, sert les puissant.e.s et est en lien direct avec la dégradation de notre environnement. Il paraît donc évident que nous devons changer de système. Voici ce que pourrait représenter une meilleure répartition des richesses pour l’environnement et la pauvreté:
- Alimentation : pour fournir les calories supplémentaires dont ont besoin les 13 % de la population mondiale souffrant de la faim, il suffirait de 1 % de l'actuel approvisionnement alimentaire mondial. Et les supermarchés versent de la javel dans leurs poubelles…
- Énergie : fournir en électricité les 19 % de la population mondiale qui n'en ont pas à l'heure actuelle entraînerait une augmentation des émissions mondiales de CO2 de moins de 1 %.
- Revenus : pour mettre fin à la pauvreté financière des 21 % de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour, il suffirait de 0,2 % des revenus mondiaux. [2]
Selon ce même rapport d’Oxfam, “la pression sur l'environnement vient en réalité de la surconsommation des ressources naturelles par les quelque 10 % les plus riches de la population mondiale – renforcée par les aspirations d'une classe moyenne en pleine croissance qui cherche à reproduire les modes de vie non durables”. [2]
Voici donc une idée extrêmement simple: il ne faut pas augmenter la croissance pour améliorer la condition de vie des pauvres mais simplement répartir les richesses et repenser notre système de distribution.
Nous allons explorer plus en profondeur de quelle manière crise environnementale et capitalisme sont liés, lorsque nous parlerons de Murray Bookchin pour une écologie politique. Car en effet, ce serait difficilement soutenable pour la planète que tout le monde se mette au niveau de vie des occidentaux. Ainsi si l’on veut mettre fin aux inégalités, il va falloir revoir notre mode vie. Vivre différemment à titre individuel certes, mais dans un système également différent. Car Pierre Rabhi et son colibri, c’est une solution de facilité. Pierre Rabhi (dont nous parlerons plus tard pour mieux le critiquer) aime répéter cette légende amérindienne:
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! " Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."
Sauf que Pierre Rabhi a omis une partie: à la fin, le colibri, épuisé, meurt, et le feu n’est pas éteint.
Donc au lieu de se pencher sur des solutions individuelles, épuisantes et pas suffisamment efficace pour résoudre la crise environnementale, allons voir d’autres solutions proposées par une myriade d’individus.
A suivre: Ecologie radicale 2/3, Alternatives et Résistance
[1] Oxfam, Partager la richess avec ceux qui la créent. Disponible : https://d1tn3vj7xz9fdh.cloudfront.net/s3fs-public/file_attachments/bp-reward-work-not-wealth-220118-fr.pdf
[2] Oxfam, Les 1% les plus riches empochent 82 % des richesses crééent l’an dernier, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’en voit pas une miette. https://www.oxfam.org/fr/salle-de-presse/communiques/2018-01-22/les-1-les-plus-riches-empochent-82-des-richesses-creees-lan
[3] Oxfam, L'éradication de la pauvreté ne doit pas nécessairement nuire à l'environnement. https://www.oxfam.org/fr/salle-de-presse/communiques/2012-02-13/leradication-de-la-pauvrete-ne-doit-pas-necessairement-nuire
[3] Bookchin, M. (2016) Au delà de la rareté. L'anarchisme dans une société d'abondance. Montréal: Les Editions Ecosociétés. p.77